Traverses / Ateliers de sensibilisation 2017 ///

Ce projet s’adressait à un groupe de demandeurs d’asile, résidents au CADA de Choisy-le-Roi. Les personnes participantes étaient originaires du Soudan, de la Guinée Conakry, de l’Angola, du Maroc et du Mali. Un peu plus d’une quinzaine de personnes ont participé aux ateliers. Certaines par intermittence. Ce groupe s’est mis en place et solidarisé au fil des rendez-vous, au-delà des différences linguistiques et culturelles.

Atelier de pratiques théâtrale
CADA / Théâtre Paul Eluard, Choisy le Roi
2017

INTERVENANTS

Metteure en scène : Leyla-Claire Rabih
Vidéastes et scénographes : Maxime Chudeau et Jean-Christophe Lanquetin

PARTENAIRES

Centre d’accueil de demandeur d’asile (CADA) de Choisy-le-Roi,
Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi

Quelques aspects du travail en atelier :

Travailler à des micro-récits :
A partir d’images et de dessins nous avons d’abord cherché à délier la parole, à récolter du matériel sans demander de raconter les parcours individuels, à ainsi tisser le vrai et le moins vrai. L’idée était d’amener les participants à prendre eux même l’initiative du récit, d’un fragment du récit. Plusieurs ont spontanément proposé des récits d’évènements marquant au pays, dans l’enfance ou avant le départ.
Dans un deuxième temps, nous avons invité les participants à travailler sur de courtes consignes d’écriture reprenant les différentes étapes d’un départ. Les propositions étaient très diverses : très conventionnelle ou authentique et autobiographiques. Certains inventaient. Certains mettaient en œuvre des compétences linguistiques fraichement acquises. D’autres s’exprimaient dans leur langue maternelle et faisaient traduire par d’autres.

Contourner les réticences / inventer des abstractions :
A partir d’étapes assez abstraites d’un récit de migration, nous avons élaboré une sorte de vocabulaire qui permettait plusieurs récits possibles. Les propositions des participants affinaient et complexifiaient le schéma du « voyage » et donc du « récit ».
Noter ces étapes, les organiser et réorganiser sur la table, les traduire aux non- francophones… les fixer au mur, suivant une ligne chronologique. On précise, on ajoute, des obstacles, des adjuvants, des questions telles que la durée, des modulations subjectives. Ce détour par l’abstraction tente de déjouer la lourdeur du récit par le fragment : il est toujours possible de dire une partie seulement, de contourner les résistances. Nous sommes à la recherche de formes qui permettent à chacun de dire quelque chose de particulier, de personnel, sans pour autant dévoiler trop son parcours ni se mettre à nu. Chaque apport constitue déjà des « fragments possibles » d’une narration collective à construire.

SUITE

Aller vers une narration collective et performée :
Grâce au travail de l’atelier théâtre, le groupe s’est constitué autour de rituel collectifs et performatifs. Des exercices d’improvisation autour du thème de la présentation ont permis de travailler le regard, l’adresse, la voix, le corps dans l’espace. Plusieurs fois nous avons fait l’expérience de la présence d’un traducteur au plateau et de la libération que constitue le fait de parler dans sa langue maternelle. Nous alternons les langues et les formes.
Le travail régulier dans une salle de spectacle a permis d’aborder la question de la performance scénique, de faire l’expérience d’un regard collectif et commun posé sur une performance individuelle, tout minime soit-elle. Tout le long du processus, nous notons, enregistrons, filmons, afin de proposer des protocoles de restitution et de moments perforés lors des prochains ateliers.
Peu à peu un travail plus théâtral a pris forme : prises de paroles individuelles au sein improvisation collective et rythmée. Peu à peu est apparue une séquence « performative ». Le groupe a pris conscience de « faire » quelque chose ensemble, qui destiné à être montré, puis à fait l’expérience de cette restitution. »

Difficultés rencontrées :
Avant le démarrage du projet, il était clair pour chacun des partenaires que le statut de demandeur d’asile des participants serait amené à évoluer au cours de ces 8 mois et influerait sur la participation. En effet, certains ont obtenu le statut de réfugié et ont suivi les formations de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), certains ont réussi à trouver un emploi. Tout cela compliquait considérablement leur venue. Un jeune homme guinéen, très assidu, a quitté le CADA et probablement la France du jour au lendemain.
Au-delà des défections inhérentes au statut des participants, la volatilité permanente du groupe, en dépit de l’intérêt témoigné et de l’investissement lors des ateliers a nécessité des réajustements perpétuels des artistes. Nous nous sommes vite rendu compte de l’adaptabilité permanente et de l’énergie qu’il faudrait pour mobiliser le groupe jusqu’au bout. Nabilah Kenchouche, directrice du CADA, a également été d’une aide précieuse dans ce domaine. 
Cette volatilité ne remettait pourtant absolument pas en question l’adhésion des participants au projet. Elle était la conséquence de la dureté de leur histoire et de la précarité de leur quotidien. Tous étaient arrivés en France à la suite d’évènements traumatisants, ils se retrouvaient dans une situation de stress et d’attente liée à leur statut de demandeurs d’asile. Il était donc bien difficile par moment de trouver la force de s’extraire de ces conditions de vie.

Leyla Rabih : « Lundi 10 Juillet , c’est la première séance de l’été, après une interruption de près d’un mois. Nous devons nous retrouver au théâtre Paul Eluard, à Choisy le Roi. Les participants ont été prévenus de vive voix et par sms. Pour la première fois, Maxime Chudeau et moi-même sommes accompagnés de Jean Christophe Lanquetin, scénographe et vidéaste, qui se réjouit de rencontrer le groupe. Nous arrivons pour l’heure prévue, et attendons. Personne ne vient.
Dès le début de la journée, j’avais un drôle de pressentiment, comme si je me doutais que le groupe n’allait pas pouvoir venir seul au théâtre. Mais nous sommes là et restons présents au projet et aux participants. Un échange ultérieur avec une amie psychanalyste comparera cette absence aux séances manquées d’une cure psychanalytique : notre présence est essentielle, nous maintenons le cadre à l’intérieur duquel le travail peut s’inscrire.
En attendant le groupe, nous tentons d’analyser ce qui se passe : la situation précaire des participants, les problèmes réels auxquels ils sont confrontés et en regard de quoi un atelier théâtre peut sembler très futile et sans utilité.
Il nous semble que la réticence des participants migrants à prendre la parole et raconter leur histoire et leur parcours en public est à la mesure, non seulement de la difficulté de leur situation, mais aussi de leur « invisibilité » sociale : pour la plupart arrivés de manière illégale sur le territoire, ils survivent de manière clandestine jusqu’à pouvoir déposer une demande d’asile, de la même manière lorsqu’ils ont reçu une réponse négative de l’Ofpra, ils doivent disparaître des procédures d’aide. L’organisation du droit d’asile a tendance à en faire de véritables « invisibles » au cœur des villes comme dans le tissu social.
Nous échangeons sur le contenu des séances précédentes, sur les travaux entamés, sur la recherche de formes scéniques et visuelles. Il nous apparait évident qu’il faudra travailler autour de cette thématique :  l’invisibilisation  des migrants . »

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